Pour un blog qui s'intéresse aux comics undergrounds, commençons par un article qui parle de Spider-Man et de Marvel Comics !!!
©Peter Bagge (Marvel Comics) "Startling Stories : The Megalomaniacal Spider-Man" |
©Peter Bagge (Marvel Comics) "Startling Stories : The Megalomaniacal Spider-Man" (On notera l'humour du poster de la chambre de Gwen. Et chaque case regorge ainsi de détails drôles et savoureux. ) |
L’intrigue de STARTLING STORIES : THE MEGALOMANIACAL SPIDER-MAN dépeint un Peter Parker qui a laissé son ego et son pouvoir lui monter à la tête, suite à une révélation sur la "vraie" nature de son oncle Ben et les "manipulations" de sa tante May pour la lui cacher.
Exit donc le : " un grand pouvoir implique de grandes responsabilités ".
Apparaîtra dans l'histoire les protagonistes habituels, gentils et méchants, de l'univers de Spider-Man et même Ronald Reagan !
Je n'en dis pas plus, pour ne pas déflorer l'histoire.
Mais, c'en est fini du gentil ado, tiraillé entre sa vie personnelle et celle de super-héros. Ici nous avons à faire à un Peter Parker mégalomaniaque (comme le titre l'indique), obsédé par son image et son statut, exploitant son pouvoir non plus pour le bien, mais pour son propre bénéfice.
©Peter Bagge (Marvel Comics) "Startling Stories : The Megalomaniacal Spider-Man" |
Au lieu d'être un héros altruiste, il devient le PDG égoïste, égocentrique, psychotique, tyrannique, etc. de Spider-Man Inc., un empire commercial construit sur la promotion de l'image de Spider-Man.
©Peter Bagge (Marvel Comics) "Startling Stories : The Megalomaniacal Spider-Man" |
A partir de là, l'histoire va nous présenter un Peter Parker qui va vieillir au fils des pages (comme dans l'album : L'HISTOIRE D'UNE VIE de Chip ZDARSK et Mark BAGLEY), et qui donc (spoiler alert) ne se suicidera pas. (D'ailleurs, quel être mégalomaniaque, imbu de sa personne, avec un ego surdimensionné, ferait une telle chose ?).
La date de publications du premier Spider-Man dans AMAZING FANTASY #15 de Stan LEE et Steve DITKO en 1962 sert de point de départ à la narration et le récit débute quelques années plus tard, en 1968, pour s'achever en 1999.Les plus
avertis d'entre-vous auront facilement reconnu le trait caractéristique de Peter BAGGE (ou auront simplement lu le titre de l'article !).
Peter BAGGE est un dessinateur et scénariste américain, surtout connu pour son style satirique et son influence sur le mouvement de la bande dessinée alternative des années 1980 et 1990.
Son œuvre se distingue par un humour mordant, une critique sociale acide et des personnages excentriques qui capturent la culture américaine sous une forme déformée et caricaturale.
Peter BAGGE a acquis une grande notoriété aux USA (beaucoup moins en France), avec sa série HATE qui raconte les (més)aventures de Buddy Bradley, un jeune homme cynique vivant dans le Seattle des années grunge.
Figurine japonaise de Buddy Bradley produite par Press Pop |
Avant cela, BAGGE avait créé NEAT STUFF, une série d'histoires courtes qui lui ont surtout servi de laboratoire visuel et narratif.
Il a aussi collaboré au magazine WEIRDO lancé par Robert CRUMB et en a même été le rédacteur en chef dans les années 80.
Avec des personnages névrosés et des situations exagérées, BAGGE dépeint de manière satirique la vie des jeunes adultes, leur malaise et leurs frustrations dans une société en mutation.
Son style est reconnaissable entre tous. Ses dessins sont souvent exagérés avec un style cartoon appuyé. Les personnages ont de longs bras et de longues jambes, ce qui oblige BAGGE a littéralement faire s'avachir ses héros pour les maintenir dans les cases. Les expressions faciales sont également extrêmes et les bouches se déforment à outrance notamment lorsque les personnages vitupèrent.
Le rendu est donc forcément caricatural, à la limite de l’absurde. Cette approche visuelle parodique rappelle encore une fois les comix des années 1960 et 1970, ceux de Robert CRUMB et de Gilbert SHELTON.
Loin des normes esthétiques habituelles de Marvel Comics, souvent hyper-réalistes, le style de BAGGE, hyper outrancier, fonctionne pourtant hyper bien (c'était la phrase des hypers).
Ses dessins ne cherchent pas à magnifier le héros, mais à l'humaniser en soulignant ses défauts. C'est particulièrement bien adapté au concept d’un Spider-Man mégalomaniaque, dont le comportement déviant est reflété dans les lignes souples et élastiques du dessin.
En termes de couleurs, l’esthétique est simple et primaire. De grand aplats colorés, pétants, vifs et nets, qui renforcent le ton humoristique et satirique de l’histoire. Exit ces insupportables flous et dégradés de couleurs sensés rendre plus réaliste l'action des comics modernes. (C'est moche et ça dénature les dessins des artistes. C'est mon avis et je le partage). Ici, ça n'aurait aucun sens.
Cette bande-dessinée est aussi, n'en déplaise à certains (voir plus loin), un hommage vibrant et sincère au dessin de Steve DITKO.
©Peter Bagge (Marvel Comics) "Startling Stories : The Megalomaniacal Spider-Man" |
Tout ceci amplifie le comique des situations vécues, qui deviennent pour notre plus grand bonheur, vite chaotiques et hilarantes.
Pour autant, même si les scénarios de BAGGE sont teintés d'un humour absurde, ils n'en sont pas moins une satire sociale acerbe qui portent un regard désabusé sur la société moderne.
En ce sens, STARTLING STORIES : THE MEGALOMANIACAL SPIDER-MAN est un commentaire
social sur la célébrité, la responsabilité et l’arrogance.
Ici Peter Parker devient une caricature de lui-même, une satire de l'archétype du super-héros américain.
BAGGE se sert de l’humour noir pour mettre en lumière les travers de ce super-héros autrefois humble. On retrouve ici toute sa verve qui tourne en dérision non seulement le personnage mais aussi les tropes du genre super-héroïque en général.
Mais alors comment et pourquoi Marvel Comics en est arrivé à éditer une telle déconstruction de son personnage fétiche ?
En 2002, Marvel Comics est dans une période de transition et de restructuration après des années de difficultés financières. C'est alors Joe QUESADA qui est rédacteur en chef. Il a été appelé à la rescousse en 2000, suite à la faillite de la firme en 1997.
Il a joué un rôle crucial dans le renouveau de Marvel Comics (on a même parlé de " Marvel Renaissance "), notamment en faisant appel à des artistes provenant d'univers artistiques très divers, afin qu'ils puissent expérimenter de nouvelles approches graphiques et narratives (en est sorti notamment la ligne " Marvel Knight "). Il a aussi encouragé la collaboration avec des créateurs issus de la scène alternative, pour explorer des formes de narration et d’illustration inhabituelles dans les comics mainstream.
STARTLING STORIES : THE MEGALOMANIACAL SPIDER-MAN en est un exemple criant.
L'autre personne importante a également ne pas oublier ici, est Axel ALONSO. C'est lui l'éditeur de STARTLING STORIES : THE MEGALOMANIACAL SPIDER-MAN.
Il est appelé par QUESADA en 2000 chez Marvel Comics pour apporter une nouvelle dynamique à " La Maison des Idées ". Auparavant, il avait fait ses débuts chez DC Comics (la " Distinguée Concurrence ") où il avait notamment travaillé sur la ligne Vertigo (tiens, tiens), éditant des séries comme 100 BULLETS de Brian AZZARELLO et Eduardo RISSO.
Cette association de Peter BAGGE avec Marvel Comics, très surprenante au regard de la différence de ton et de style entre l'univers de BAGGE et celles des comics de super-héros traditionnels de Marvel Comics, a détoné et dénoté. Et sans surprise, ce one-shot a été accueilli de manière très mitigée.
Les fans traditionnels de Marvel Comics, peu habitués à ce genre de style excentrique, ont parfois eu du mal à accepter cette version satirique d’un personnage aussi emblématique que Spider-Man.
Toutefois, les amateurs de comics alternatifs et d'humour noir, dont je fais modestement partie, en ont apprécié l'audace et l'humour décalé.
Bref, lisez STARTLING STORIES : THE MEGALOMANIACAL SPIDER-MAN, c'est du Spider-Man, beau, intelligent, décapant, comme vous n'en avez jamais lu et n'en lirez sans doute plus jamais.
Et surtout, c'est juste GÉNIAL !!!
Startling Stories : The Megalomaniacal Spider-Man #1 a été édité par Marvel Comics, en juin 2002.
Il est uniquement disponible en VO.
On peut le trouver numériquement sur la plateforme de diffusion numérique Marvel Unlimited, ou physiquement, d'occasion chez différents revendeurs sur le Net (on le trouve assez facilement).